Les éternels écueils des startups du numérique
Cela fait maintenant 10 ans que j’évolue dans le milieu du développement web et applicatif, et pendant cette décennie j’ai pu rencontrer et/ou travailler avec plus d'une centaine de startups, et en lancer quelques-unes moi-même.
Sur toutes ces startups (certaines à impact, d’autres révolutionnaires, d’autres plus axées business), aujourd'hui, il n’en reste que trois en activité.
Mais alors, pourquoi un taux de plantage aussi important ? Il peut y avoir des centaines de raisons, mais en regardant l'ensemble des cas, certaines reviennent quand même particulièrement souvent :

Garder le secret
Les startupeurs sont souvent persuadés que leur idée peut leur être volée. Ils évitent donc d’en parler, cachent leur projet le plus longtemps possible, et font signer des documents de confidentialité à tout va.
Une peur qu’on pourrait nommer le Winklevoss Syndrome, du nom des jumeaux qui se sont « fait voler » l’idée de Facebook par Mark Zuckerberg comme on peut le voir dans le film The Social Network.

Les jumeaux Winklevoss, qui sont depuis devenus milliardaires en bitcoin, donc ça va
La réalité, c’est que l’idée n’est qu’une des très nombreuses variables qui contribuent au succès d’un projet, et certainement pas la plus importante. L’exécution, au contraire, est un élément crucial, tout comme le choix de l’équipe, les décisions stratégiques du quotidien, le moment, l’environnement de lancement…
Si les jumeaux Winklevoss avaient réalisé directement leur idée de Facebook, il y a fort à parier que cela n’aurait pas marché de la même manière.
Cette peur est donc largement injustifiée, d’autant plus qu’il est peu probable que ceux qui entendent parler d’une idée aient le temps, les compétences et l’énergie à y consacrer pour la lancer et la faire fonctionner.
Et si garder son projet de startup secret présente de mon point de vue peu de risques, cela a à contrario de nombreux désavantages :
- Ralentit sa visibilité et la connaissance de son existence par son public
- Fait perdre du temps sur le référencement et la création de la communauté
- Fait rater des opportunités (futurs utilisateurs, contrats, personnes intéressées pour rejoindre l’aventure, avis constructifs…)
L’écueil principal est d’avoir tellement protégé le projet en phase de conception, qu’une fois au lancement, il faut partir de zéro sur l’acquisition d’utilisateurs et clients, et qu’il faille donc réinvestir énormément de temps, d'énergie et de budget à une phase qui ne le permet parfois plus.
Quand on a un projet de startup, on a donc tout intérêt à en parler dès que possible à un maximum de monde, pour se donner la possibilité de saisir toutes les opportunités qui se présentent, et être déjà sur une rampe de lancement optimale au moment d’ouvrir son projet au public.
Trop de projection
Quand on monte une startup, on est généralement animé par l’envie et la volonté de réussir, et habituellement de faire quelque chose de grand. On veut être une licorne, le prochain AirBnB, Facebook ou Amazon.
Mais en réalité, trop se concentrer sur le « plus tard » empêche souvent de faire les bons choix pour le « maintenant ». Beaucoup se projettent et créent leur app, site, logiciel en pensant à la façon dont cela fonctionnera quand il y aura un million d’utilisateurs, ou quand il sera utilisé dans le monde entier. Hors, l’obsession de grandeur fait perdre de vue les besoins réels et immédiats du projet.
Le temps et l’énergie dont vous disposez à investir dans votre startup sont limités, et doivent être concentrés sur des actions réellement concrètes et efficaces pour votre projet à son stade actuel.
Plutôt que de se demander : « Comment vais-je faire lorsque cent mille personnes vont l’utiliser en même temps ? », mieux vaut se demander ce dont vont avoir besoin les 10 premiers utilisateurs, puis les cent premiers, etc.
Être conscient de son stade d’évolution réel permet de prendre les décisions les plus pertinentes à chaque étape, sans se perdre.

Antoine qui commence à douter car il vient de passer 2 mois à développer un algorithme de sécurisation de messagerie basé sur la blockchain pour son app de rencontre, alors que ses 15 utilisateurs voudraient surtout qu'il y ait plus de gens avec qui matcher
S'éterniser en conception
Une étude* estime à 76% le ratio de projets qui périclitent avant même d’être sortis.
Pourquoi cela ? Parce que les porteurs de projets veulent souvent atteindre un certain niveau d'aboutissement avant de présenter leur projet au monde.
Hors souvent quand on monte un projet, de nouvelles idées apparaissent au fur et à mesure de la création, et ajoutent en continu de la charge de travail, si bien que le projet se poursuit sans jamais aboutir.
Le risque alors, c’est que la phase de création s’éternise et prenne tellement de temps que les membres du projet finissent par être démotivés, fatigués et l’abandonnent progressivement.
L’erreur est souvent de penser qu’en tant que fondateur, on sait ce que veulent les utilisateurs. Hors, la réalité, c’est que vos utilisateurs savent cela mieux que vous. Il est donc beaucoup plus efficace de de sortir une version qui va à l’essentiel très rapidement, de chercher à la faire connaître et utiliser, et de se mettre à l’écoute des retours de vos clients/utilisateurs, pour ensuite faire évoluer votre projet petit à petit.
L’une des raisons pour laquelle certains projets restent des mois voire des années en conception, c’est sûrement aussi parce que c’est un stade confortable : on crée ensemble, on se projette, c’est stimulant, enthousiasmant, et souvent utopique.
Sortir un projet, c’est le confronter à la réalité du marché, et la sentence de sa cible. C’est donc un passage qui fait peur, mais aussi celui qui fait le plus avancer, tant les retours utilisateurs sont précieux. C’est aussi le moment où l’on peut commencer à voir si le projet va pouvoir prendre, et si ce n'est pas le cas, il vaut mieux le savoir le plus tôt possible pour se donner la chance d’avoir le temps de pivoter.
Alors comment éviter cet écueil ? La solution peut être de se fixer en début de création le périmètre ultra-essentiel du projet, se limiter à cela jusqu'au lancement, et noter toutes les idées qui viennent en cours de route sans les intégrer mais en les gardant pour des évolutions futures.

« Si vous n’avez pas honte de votre produit quand vous le lancez, vous lancez trop tard » nous dit Reid Hoffman
*étude estimative menée par moi-même sur la base de mes projets démarrés mais jamais sortis
Cramer tout son budget dans la V1
Au départ de la création d’un projet, on a souvent des ressources à y investir, que ce soit un budget ou un certain volume de temps et d'énergie.
L’une des erreurs que j’ai pu constater souvent, c’est utiliser la totalité de ce volume initial d’argent, énergie et temps (et même parfois plus) à l’élaboration de sa première version (V1). Bilan, quand le projet d’app/site/logiciel sort, l’équipe est déjà à sec et sur les rotules.
Hors la sortie du projet, ce n’est pas la fin, mais presque encore le début l’aventure, il faut donc impérativement en avoir encore sous le pied. En effet, quand le projet sort, il va encore falloir utiliser des ressources pour le faire connaitre et adopter, et pour y apporter des modifications et évolutions selon les retours des utilisateurs.
Si je devais lancer un projet, je prévoirais en moyenne :
- 30% des ressources pour la conception de la V1
- 30% des ressources pour la communication/la vente
- 30% des ressources pour les évolutions post-mise sur le marché
- 10% pour la gestion d’imprévus
L’absence de prévision de ressources pour la communication et les ventes est aussi une erreur répandue. Beaucoup de startupeurs pensent que parce que le projet est digital, il va suffire de communiquer sur les réseaux sociaux (gratuit) et de créer du bouche à oreilles pour que cela prenne.
Le problème, c’est que créer des contenus pour les réseaux sociaux suffisamment qualitatifs et fréquents pour créer de l'engouement utilise aussi des ressources (si ce n’est financières car réalisé en interne, au moins du temps et de l’énergie) et que le bouche à oreilles est un effet de long terme, qui peut mettre trop de temps à se mettre en place pour la survie du projet.
Quant à ceux qui comptent sur le « buzz » : la viralité ne s’organise pas, elle résulte de tant de paramètres qu’elle s’apparente presque plus à de la chance, autant compter sur le fait de gagner au loto.
Négliger la rentabilité
L’univers des startups incarne tellement de fantasmes (succès du jour au lendemain, super-fortunes, devenir un maître du monde à moins de 30 ans) que certains perdent de vue que les startups restent des entreprises, qui ont besoin d’avoir une forme de rentabilité pour survivre.
En effet, votre projet ne durera que le temps pendant lequel ses ressources lui permettront de payer vos charges et votre équipe (qui peut travailler sans rémunération au début, mais ça ne dure pas).
De nombreuses entreprises à succès ne sont pourtant pas rentables : seulement 8% des licornes (startups valorisées à plus d’un milliard de dollars) le seraient. Twitter, Uber, Snapchat, Pinterest et bien d’autres accusent encore des pertes annuelles au-delà du milliard de dollars. Mais elles continuent de fonctionner, tout simplement parce que des investisseurs (à ce niveau-là, généralement des fonds d’investissements) y injectent de l’argent en permanence en pariant sur le fait qu’à un moment, l’entreprise parviendra à la rentabilité.
L’idéal est d’avoir une rentabilité directe, c’est-à-dire que la valeur créée par le projet ramène suffisamment de chiffres d’affaires pour le faire fonctionner, et si possible même plus. C’est le cas dans lesquels les porteurs de projet restent les plus libres.
Ce n’est pas toujours possible au départ, et pour fonctionner les startups vont donc intégrer à leur capital des business angels (BA) ou des fonds qui les financeront le temps que leur modèle devienne rentable. Ceci dit, les BA ne sont pas des mécènes, ils cherchent à financer des projets qui ont un potentiel de rentabilité, pour in fine récupérer leurs deniers, si possible avec un multiple intéressant. Et pour investir, ils sont très attentifs à vos chiffres : les coûts, les entrées d’argent, les metrics (statistiques d’utilisations ou visites) de votre projet à son stade actuel. Par conséquent, même avant d’être rentable, une startup doit être pointue et impliquée dans sa gestion financière.
Il est donc primordial d’avoir, idéalement dans l’équipe fondatrice, une personne douée avec les chiffres, les calculs et les tableaux Excel (un DAF, directeur financier), qui suivra continuellement la bonne gestion des investissements et des entrées pour maintenir la startup à flot. La bonne gestion des chiffres est dans tous les cas au cœur de la réussite d’une startup.

Dans Qui Veut Être mon Associé, une émission où des business angels investissent dans des projets, les questions autour des chiffres sont nombreuses avant de prendre la décision d’investir
Voici donc les points de vigilance principaux que je prendrais en compte si je voulais me donner toutes les chances de réussir un nouveau projet. Est-ce que suivre ces préceptes garantit la réussite d’un projet ? Non évidemment, car de nombreux autres paramètres comptent. Ce qui est sûr en revanche, c’est que tomber dans ces travers vous garantit de vous planter.